Érosion à Lège-Cap-Ferret: Un problème sous-estimé ?

La municipalité de Lège-Cap-Ferret a-t-elle jusqu’à présent sous estimé à dessein l’épineux problème de l’érosion ? Alors que des arrêtés empêchent désormais l’accès à certaines digues de la ville,nous avons mené l’enquête et mis la main sur des documents éloquents datant d’une vingtaine d’années

La plage de la pointe du Cap est interdite à la circulation pour prévenir les risques d’effondrement (photo Louisa Benchabane)

Depuis février, un arrêté municipal de La Ville de Lège-Cap-Ferret interdit le passage sur les digues de la ville jusqu’à la pointe en raison de l’érosion. Une mesure demandée par l’ancien préfet de la Nouvelle-Aquitaine, Didier Lallement qui a créé la colère de certains commerçants.

C’est un rapport de 12 pages qui, en février dernier à tout déclenché. Commandé en mai 2018 par la direction régionale de l’Environnement ( Dreal), il a été rédigé par le Centre national d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et remis à la préfecture à la mi-septembre 2018. Il pointe le « caractère inéluctable du recul du trait de cote et l’accroissement de la vulnérabilité de la pointe face aux risques littoraux ». Il appelle tous les élus locaux à la mobilisation générale « il faut rassembler tous les acteurs, […] et à partir de là définir des seuils d’alerte et de déclenchement de travaux d’entretien d’urgence ». C’est ce qui a poussé le préfet à demandé les interdictions


Mais la méthode interroge les acteurs locaux. Renaud Lagrave, vice-président de la région Nouvelle Aquitaine et président de la GIP littoral (organisation qui regroupe les collectivités territoriales de la côte Aquitaine) est circonspect : « Je suis surpris par cette décision rapide, non concertée » nous a-t-il déclaré au mois de février dernier. J’ignore ce qu’il s’est passé dans la tête du préfet ! » Du côté de la mairie de Lège-Cap-Ferret dirigé par le LR Michel Sammarcelli, on décide d’appliquer immédiatement la volonté préfectorale tout en disant partager « la même surprise ».


« Ne pas porter atteinte à nos propres intérêts »

Pourtant la décision du préfet Lallement est loin de venir de nulle-part. Il suffit de revenir quelques années dans le passé pour le comprendre. 1995. Michel Barnier est ministre de l’Environnement. La loi qui porte son nom et fait prévaloir le principe de précaution est adoptée le 3 février 1995. Ses articles 11 à 22 concernent la « sauvegarde des populations menacées par certains risques naturels majeurs » comme l’érosion. Face à l’érosion de la côte Atlantique, le principe de précaution prime donc théoriquement depuis 24 ans.

D’ailleurs dés 1996, le préfet de la Gironde d’alors Bernard Landcuzy le comprend bien. Dans une lettre datée du 9 décembre 1996 que nous avons pu consulter, il demande à Michel Sammarcelli , déjà maire de Lège Cap Ferret de « tenir compte des résultats de l’étude qui vous a été remise en matière de planification urbaine pour notamment exclure les extensions urbaines dans lez zones menacées J’appelle enfin votre attention sur la nécessité d’informer le public des résultats de l’étude par tous les moyens que vous jugerez les mieux appropriés ».La mairie a-t-elle suffisamment informé la population? Un quart de siècle plus tard, on peut légitimement se poser la question.

La mairie avait (peut-être) peu l’envie ni l’intérêt de communiquer sur l’étude de 1996. Un autre document que nous avons réussi à obtenir semble le prouver. Le 4 décembre 1997 a lieu une session ordinaire du conseil municipal de Lège Cap Ferret. Le maire s’exprime sur un refus de permis de construire qui se base sur le principe de précaution.« J’ai naturellement refusé de signer cette décision! » et le permis à été accordé malgré le risque.

Il s’oppose à l’époque à l’esprit de la loi Barnier « Il est très bien de se soucier de l’avenir de nos enfants et petits-enfants, à condition toutefois, de ne pas porter atteinte disproportionnée à nos propres intérêts. L’esprit de la nouvelle réglementation est de ne pas permettre l’urbanisation des secteurs exposés.» Michel Sammarcelli qui déplore « la logique bureaucratique de cette nouvelle réglementation » rejette alors clairement le principe de précaution.

Benoît Bartherotte, un franc-tireur aux positions renforcées

22 ans plus tard, Benoît Bartherotte ne décolère pas, il a lancé de très nombreux combats judiciaires contre la mairie de Lège Cap-Ferret et son maire qui pour lui est un « ennemi ». La gigantesque digue de 487 mètres qu’il a construit lui-même située à la pointe du Cap-Ferret est devenue le symbole de la lutte contre l’érosion. C’est un projet pharaonique qu’il à démarré en 1985 et qui atteint sa taille actuelle en 1995. Une construction qu’il doit depuis perpétuellement renforcer avec des centaines camions de pierres et autres matériaux chaque année. Certains le dépeignent en « Sisyphe poussant son rocher », en « hâbleur égocentrique », en « millionnaire excentrique et fou » qui croit pouvoir lutter en vain face à une érosion inéluctable. Mais la réalité est plus complexe. Sa construction à été jugée positive par plus plusieurs rapports dont celui des ingénieurs Alain Ferral et Jacques Viguier qui dés 1996 affirme que «sans la digue édifiée par Benoît Bartherotte, le trait de cote aurait reculé de 50 à 80 mètres.»

Le septuagénaire qui peut parler des heures de l’érosion tout en arpentant sa digue a forcément sa lecture des derniers événements. « Cela fait des années que le sujet de l’érosion traîne. Didier Lallement a enfin tapé du poing sur la table. Il s’est servi de l’atmosphère actuelle très tournée vers la protection de la nature pour pouvoir faire appliquer ce qui l’aurait du l’être il y a 25 ans.» Didier Lallement revient donc à la doctrine Barnier. Pas surprenant pour un ancien secrétaire général du ministère de l’Ecologie en 2007.

Benoît Bartherotte contemple sa digue tout juste remblayée avec des matériaux divers (photo Matthias Hardoy)

Mais pourquoi une telle résistance municipale à Lège ? Benoit Bartherotte voit au Ferret l’affrontement de deux camps, les protecteurs du Cap-Ferret dont il serait, soucieux de préserver la nature et celui des développeurs qui seraient uniquement mû par la volonté d’accroître l’attractivité touristique et économique de la zone. « Sammarcelli est un développeur même s’il s’en cache. Il à tout fait pour ne pas appliquer les rapports sur l’érosion qui lui semblaient défavorables.»

Jean Mazodier, président de l’association Palcf (Protection Et Aménagement de Lège-Cap-Ferret) qui n’épouse pas toujours les vues de Benoît Bartherotte partage pourtant cet avis. « La Presque île du Cap-Ferret à 100 ans et cela fait bien longtemps qu’on a vu et compris que l’urbanisation et le tourisme outrancier avait un effet nefaste. » Mais selon lui, c’est l’absence de solutions simples qui fait primer la pensée court-termiste. « Il n’y a pas de réponses faciles. Construire des digues coûte extrêmement cher et personne ne veut payer pour les bourgeois du Cap-Ferret. Relocaliser la ville coûterait encore plus cher et c’est irréalisable. Il n’y a pas tellement d’issue…»

Du côté de la Ville, on communique très peu sur le sujet et on renvoie la balle à l’État. « Les riverains et commerçants concernés par les arrêtés et qui bénéficiaient d’AOT( Autorisation d’Occupation Temporaire) pour leurs commerces et habitations dans des zones à risque vont traiter directement avec l’État » nous déclare Mme Aurélie Delabre, directrice de cabinet de Michel Sammarcelli

L’État justement devrait dévoiler bientôt ses intentions sur le sujet. Par la voix de Sophie Panonacle, députée LREM du Bassin d’Arcachon et responsable du groupe de travail littoral à l’Assemblée Nationale qui prépare un texte sur le sujet comme l’annoncent de nombreux médias dont nos confrères de Sud Ouest. Une proposition de loi « visant à répondre aux situations d’urgence provoquées par le recul du trait de côte et à proposer des dispositifs d’aménagement adaptés aux zones concernées».

Tout le monde au Cap-Ferret attend aussi la position sur la question de la nouvelle préfète de Nouvelle-Aquitaine Fabienne Buccio. On l’a compris sur son bureau l’attend un dossier toujours brûlant qui déchaînera les passions tant que le Cap-Ferret ne sera pas sous l’eau !

Pour Aller plus loin :

1- Faites Glisser votre souris sur l’image ci-dessous pour découvrir l’évolution du trait de côte entre 2009 et 2018 ( Image Google Earth)

2- Cliquez sur les différentes icônes pour comprendre les enjeux de l’érosion à Lège-Cap-Ferret ( Google/ Genially)

Les Coulisses de l’info : A travers ce lien, vous voulez accéder aux documents au cœur de notre enquête sur la mairie de Lège-Cap-Ferret.

Matthias Hardoy