Prendre un TER ou un car, c’est le quotidien de milliers de Girondins. Pour se rendre au travail, à l’école ou sortir en ville le week-end, le train et le bus sont parfois les seuls moyens de locomotion pour certains voyageurs. Retards, suppressions de ligne, ralentissements et passages occasionnels, tout ne se passe pas toujours comme prévu.

« Sans voiture, on ne peut rien faire », se désole une standardiste de la mairie de Lamothe-Montravel. Face à Bordeaux-Métropole qui concentre majoritairement les emplois et les services publics, certains villages, situés à une cinquantaine de kilomètres seulement de la capitale girondine, souffrent de cette distance et d’une desserte disparate. Une fois quitté le territoire périurbain, rejoindre la capitale girondine se complique.

En Gironde, les TER et le réseau interurbain Transgironde sont deux services proposés aux habitants du département. Prendre un train ou un bus est un jeu d’enfant mais, dans plusieurs communes, les TER ne passent que rarement.

L’exemple le plus probant : Lamothe-Montravel. Pour partir de cette petite commune de la ligne 26 qui relie Bordeaux à Bergerac, rendez-vous à 06h25 pour le premier train en direction de Bordeaux. Et mieux vaut ne pas le louper : le prochain est fixé à 13h24, quand le dernier est programmé à 18h25. Des horaires pas vraiment pratiques pour les travailleurs qui se rendent quotidiennement dans la capitale girondine, à plus d’une heure de transports, ni pour les personnes qui ont besoin de se rapprocher des services publics.

Plus au sud, à Gironde-sur-Dropt, le problème est bien plus affirmé. « C’est la galère pour se déplacer en transports », concède avec franchise la secrétaire de la mairie. Ce village de 1 200 habitants, niché entre Langon et Marmande, s’est fait une raison. Avec trois passages de TER avant huit heures le matin et deux passages l’après-midi, l’accès à Bordeaux-Métropole est plus que limité. « C’est idiot parce que La Réole, à une dizaine de kilomètres de là, est beaucoup mieux desservie, mais il y a un manque de liaison entre les deux villes. Même pas une ligne de bus », ajoute-t-elle.

Même galère à Saint-Savin, qui se trouve à une cinquantaine de minutes de Bordeaux. Pour rejoindre Bordeaux, mieux vaut ne pas se fier aux TER puisqu’aucune ligne ne dessert la commune. Il faut alors compter sur le réseau de cars de la région. Mais ici, rares sont les passages d’un Transgironde. « Il n’y a que deux bus très tôt les matins de semaine pour nous emmener jusqu’à la gare de Saint-Mariens – Saint-Yzan, et deux pour rentrer le soir », s’agace Aurore qui le prend régulièrement avec sa fille.

La jeune femme ne comprend pas pourquoi une ligne directe jusqu’à la métropole n’est pas prévue. « Alors on nous redirige vers la gare mais l’aller-retour en train jusqu’à Bordeaux coûte 17 euros ». Et le week-end, il ne faut même pas espérer pouvoir prendre un Transgironde : le service n’est assuré qu’en semaine. Un handicap pour cette commune de presque 3.500 habitants, qui ne préoccupe pas la mairie, « nous sommes au courant, mais nous n’avons jamais demandé d’avoir plus de passages ».


En Nouvelle-Aquitaine, 1 800 kilomètres de lignes secondaires traversent toute la région. Preuve d’un important maillage ferroviaire sur le territoire.  Mais ce chiffre cache une réalité différente sur le terrain. Les « petites lignes » sont plongées dans un sommeil profond voire même à l’agonie. Aussi appelées « UIC 7 à 9 », elles enregistrent moins de dix passages de trains par jour et par sens de circulation. La cause ? Leur manque d’entretien et le manque de rentabilité. « Ces lignes n’ont pas été entretenues pendant une grosse trentaine d’années par SNCF Réseau (responsable de la maintenance des voies) », se désole Christian Broucaret, président en Nouvelle-Aquitaine de la Fédération nationale des associations des usagers des transports. Ces manquements dans l’entretien provoquent des ralentissements sur près de 300 kilomètres de voies ferroviaires dans la région, soit 1/5 du réseau. « L’axe Bordeaux-Nantes compte une portion de 100 kilomètres où les trains roulent à 60 km/h au lieu de 140-160 km/h », constate Jean-Luc Romary, secrétaire général de Sud Rail en Nouvelle-Aquitaine.

Eva Oranger habite Macau et fait ses études d’information-communication à l’université Bordeaux Montaigne sur le campus universitaire. Si beaucoup de ses camarades habitent en ville et n’ont qu’à prendre un bus et un tram pour quelques arrêts, c’est loin d’être son cas. Tous les matins, elle se rend à la gare de Macau. « On a une ligne de train qui passe régulièrement, quand ça marche bien sûr », lâche-t-elle dans un sourire sarcastique. Cela fait maintenant trois ans qu’elle fait le trajet quotidiennement. Après avoir pris la ligne du TER 33 qui rejoint Le Verdon à Bordeaux, elle descend à l’arrêt de Blanquefort pour rejoindre le tram, et ainsi terminer son trajet. Toute une organisation, réglée comme du papier à musique, mais certains jours, une panne, un retard, vient tout chambouler. « Le train tombe très souvent en panne. Il ne se passe pas un mois sans incident, sans compter les grèves. Un jour, un contrôleur m’a même expliqué que c’était une des pires lignes de Nouvelle-Aquitaine car elle est très peu entretenue », précise-t-elle. Une organisation qui demande beaucoup de patience.

Quand les usagers bataillent pour avoir leur bus ou leur train, les institutionnels, eux, se renvoient la balle face à l’état actuel du réseau. SNCF réseau ne veut pas investir et n’a pas les moyens, et la région n’investira que si la SNCF et l’Etat participent. Un cercle vicieux dans un dossier où les deux principaux acteurs, la SNCF et la région, n’arrivent pas à s’accorder. Renaud Lagrave, vice-président de la région en charge des transports, se décharge de toute responsabilité. « Nous avons été contraints et obligés, hors de nos compétences, de financer ce type de travaux. La SNCF menace à chaque fois de fermer les lignes. Pour être clairs, nous sommes aujourd’hui dans un contexte où effectivement si nous ne finançons pas, on ferme les lignes ». Il dénonce le manque d’investissement de la part de SNCF réseau, qui participe à hauteur de 480 millions d’euros dans le renouvellement des voies pour 2019. Un chiffre important qui pourtant ne représente qu’une partie infime des financements. Pour la ligne Libourne-Bergerac par exemple, SNCF réseau finance 17% des travaux, quand la région prend en charge plus de 40% des investissements.

Les propriétaires du réseau ferré, eux, se cachent derrière les décisions de l’Etat, pour justifier les difficultés à financer le renouvellement des voies en Nouvelle-Aquitaine. « L’Etat nous demande d’investir d’abord dans les lignes structurantes [NDR : axes ferroviaires entre les grandes villes de la région]. Pour les plus petites lignes, c’est une négociation entre SNCF Réseau, la région et l’Etat », explique Geneviève Latxague, responsable communication SNCF réseau en Nouvelle-Aquitaine.

Du côté de Transgironde, c’est un peu le même refrain, avec le même acteur, puisque c’est la région, là aussi, qui intervient dans ce dossier. Alors que le service a été mis en place par le département, depuis la loi NOTRe de 2015, le réseau est passé sous l’autorité de la région. Pour beaucoup, l’héritage serait trop lourd pour la Nouvelle-Aquitaine, comme l’explique Stéphane Saubusse, conseiller départemental du canton des portes du Médoc : « à l’époque, quand c’était géré par le département, tout se passait bien ». Cet écologiste a toujours œuvré pour faciliter l’accès aux transports. « Je leur ai cassé les pieds, nous demandions des tarifs abordables avec une desserte cadencée et plus dense et finalement nous les avons obtenus ». Mais aujourd’hui, c’est la région qui contrôle le service et « il n’y a plus autant de communication ». Cette dernière a pourtant des arguments de taille pour se défendre. Malgré le transfert de la gestion du service du département à la région, les équipes sont restées inchangées, « nous avons juste changé de numéro de téléphone », lâche Renaud Lagrave, sarcastique. La région se voit comme un bon coupable, mais il n’est pas question de récupérer les pots cassés laissés par le département. « Ce qu’il y a eu avant c’est le passé, on sait que l’on doit modifier l’offre et on y travaille », ajoute-t-il. Un échange de balle qui dure là aussi, et qui n’en finit pas de déstabiliser les usagers.

A Lugos, dans le sud-ouest de la Gironde les trains ne passent plus depuis longtemps. « Ça fait presque soixante ans que la gare de Lugos est fermée, et aucun TransGironde ne passe, même pour relier Salles [NDLR : là où part le bus qui relie la commune à Bordeaux] », explique une salariée de la mairie de Lugos. « Si, il y en a un le matin à 6h20 et un autre le soir », intervient son collègue. Pas de quoi ravir les habitants de Lugos qui ne peuvent conduire. Privés d’autonomie, la plupart quittent le village. « Comme la voiture est un luxe pour les étudiants, ils s’installent à Salles ou à Bordeaux pour leurs études. Pareil pour les lycéens : ils sont quasiment tous internes pour éviter que les parents ne viennent tous les jours les déposer et les récupérer à Salles».

« Il m’est arrivé de déscolariser des élèves de prépa, non de leur plein gré, mais parce que les heures de cours ne coïncidaient pas avec le bus qui relie Bordeaux à Lugos.»

Ophélie Dzierlatka, ancienne habitante de Lugos.



Une telle situation a de graves répercussions. « Il m’est arrivé de déscolariser des élèves de prépa, non de leur plein gré, mais parce que les heures de cours ne coïncidaient pas avec le bus qui relie Bordeaux à Lugos. Ça me choque de voir que la scolarité des élèves peut dépendre à ce point des transports. C’est simple : soit ils abandonnent, soit ils sont très souvent absents », explique Ophélie Dzierlatka, préceptrice à Bordeaux. Vivre dans une ville mal desservie par les transports comme Lugos réduit donc les chances de réussite des élèves en prépa aux concours. Selon elle, 70 à 80% des étudiants échouent juste parce qu’ils ne peuvent pas prendre le bus. Une des solutions qui s’offrent aux étudiants est donc de se loger sur place, mais tout le monde n’a pas les moyens, « il y a même des cas où les étudiants essayent d’avoir un copain/une copine pour squatter chez eux et ne pas payer un logement », lâche-t-elle, scandalisée.

Fait plus surprenant à Lugos, même les retraités s’y mettent. La commune constate de plus en plus leur exode pour se rapprocher des commodités, comme l’hôpital de La Teste, et pour avoir plus facilement accès aux TER. Certaines familles n’hésitent pas à placer les aînés dans des Ehpad, pour éviter leur isolement, et non pas parce qu’ils en ont besoin.

En revanche, pour les habitants qui ont décidé de rester dans leur commune désertée par les TER, des initiatives associatives inter-communales voient le jour pour tenter de pallier l’absence de TER. A Langon, à 15 kilomètres de Gironde-sur-Dropt, l’association CAP Solidaire propose désormais un financement partiel du permis de conduire pour les jeunes des alentours. Quant à Lugos, la communauté de communes du Val de l’Eyre a mis en place un service de transports à la demande en semaine uniquement pour les moins de 25 ans et les personnes âgées. Le service affiche des prix raisonnables. Comptez par exemple 2,70 euros pour l’aller à la gare de Biganos, 4,30 euros pour un aller/ retour dans la même journée. Mais il faut être prévoyant : la réservation se fait minimum deux jours avant le départ.

Le service est encore loin d’être suffisant et surtout, qui n’est pas encore développé partout en Gironde, où nombreux sont les habitants délaissés par les transports publics. Alors quelles sont les solutions possibles ? Covoiturage, déménagement, certains vont jusqu’à prendre des risques et braver la loi en conduisant sans permis.«

D’après la sécurité routière, ils sont aujourd’hui plus de 600 000 à prendre la voiture, parfois quotidiennement, sans détenir le petit papier rose. Un risque auquel certains sont contraints, tiraillés entre nécessité de travail et manque d’argent pour payer le permis, qui pourrait leur faciliter la vie quand ils habitent dans des zones où les transports sont moins fréquents, comme à Libourne. En CDD de 25 heures dans une boulangerie de la ville, Morgane gagne 900 euros par mois. Alors pour la jeune femme, le permis, ce n’est pas pour tout de suite. « Après avoir payé le loyer, les charges et toutes les dépenses du quotidien, il ne me reste plus grand-chose sur mon compte. Et comme tout augmente, j’ai du mal à mettre de côté et même après un an, je suis loin des 1200 euros que je me suis fixés.» Elle conduit sans permis depuis presque un an désormais.

Le baromètre annuel du FGAO (Fond de garantie des Assurances Obligatoires), montre qu’en 2018, 46% des auteurs d’accidents sans permis avaient moins de 30 ans. Et si certains décident de prendre le volant illégalement, c’est par obligation. Dans ces zones où les transports sont quasi inexistants, la voiture est le seul moyen de s’émanciper. A Libourne, les transports ne permettent pas de se déplacer facilement. « Le bus ne passe pas du tout à côté de chez moi et à des horaires absolument pas pratiques », explique la jeune femme. Pour le train, pas forcément plus adapté, ce sont surtout les prix exorbitants qui l’empêchent de le prendre. « Là, tout mon salaire y passerait », résume-t-elle. Alors, sur un coup de tête, la jeune boulangère a pris la voiture que son beau-père lui avait offerte. Dans les vignes qui jouxtent sa maison, elle a appris seule, sur le tas. « Ma famille et mon compagnon ne sont pas d’accord avec ma décision. Donc personne n’a voulu m’apprendre », explique-t-elle.

Déménager, prendre des risques, ou se lever plus tôt, à chacun sa façon de contrer la galère de Transgironde ou du TER.

Romain Bouvet, Julie Chapman, Valentin Gouriou, Rébecca Laplagne, Nam Durieu et Félicie Gaudillat.