En 2015, le maire de Lacanau, Laurent Peyrondet, annonçait dans le journal La Croix que la ville devait envisager un « repli stratégique ». Quatre ans plus tard, la relocalisation semble impossible à mettre en œuvre par la ville, de même que le projet alternatif de super-digue.
Entre la grogne des commerçants, le manque de finances et l’absence d’outils juridiques adaptés, les obstacles à la réalisation de ces projets sont nombreux. Tour d’horizon.

Debout face à l’océan, le gérant du Kayok, est fidèle au poste. Son restaurant chic surplombe la digue. Il prend la peine d’écourter son appel téléphonique pour recevoir le visiteur. Mais interrogez-le sur l’érosion et soudain son visage se ferme. Il refuse d’entendre parler du projet de déménagement de la partie la plus exposée de la municipalité. À une trentaine de mètres de sa terrasse qui s’étend au dessus la digue, les vagues déroulent sans arrêt. Comme les autres commerçants du bord de mer, le restaurateur en a assez d’entendre parler d’érosion.

« Tout se passe bien », assène-t-il en signalant du menton l’océan. L’épisode de la mer en furie de 2014 est loin à présent. Les flots déchaînés à la suite d’une tempête avaient arraché à la dune plusieurs mètres de sable. Pas d’inquiétude donc par cette calme matinée du mois d’avril. Pourtant, l’avenir pourrait être moins tranquille. Le futur de la station balnéaire cristallise les tensions, car la relocalisation voulue par Laurent Peyrondet aboutirait au déménagement d’une centaine de commerces et de 1200 habitants. D’abord annoncée pour 2020, elle est désormais seulement l’une des deux pistes envisagées par la mairie dans sa stratégie locale de lutte contre l’érosion à l’horizon 2100.

Un soutien local de taille

À une trentaine de kilomètres du rivage, loin de la mairie de Lacanau, se trouve l’autre tête pensante derrière les plans d’action face au risque érosif. Le groupe d’intérêt public (GIP) littoral aquitain, installé à Mérignac, est un partenaire privilégié de la municipalité. Avec lui, l’État, la région, les communes et l’Union Européenne mettent la main à la poche pour que les plages de nos vacances ressemblent toujours à des décors de carte postale. Le GIP accompagne les communes aquitaines et élabore avec elles des projets pour l’aménagement et la protection des bandes côtières. Pour éviter le scénario catastrophe où les Canaulais se retrouveraient les pieds dans l’eau avec leurs maisons submergées, le groupement mène des études dans la station balnéaire.

Deux options tiennent la corde pour l’instant : la relocalisation ou la protection. La première acterait le déménagement des commerces et des activités du front de mer vers les terres. La seconde prévoit quant à elle la construction d’une « super-digue » pour ralentir les flots qui rongent la terre, inexorablement.



Même parmi les soutiens du projet, certains grimacent face à son coût estimé à 400 millions d’euros. Les partisans de la « super-digue », de leur côté, brandissent en étendard cette somme astronomique pour s’opposer au repli stratégique. Renaud Lagrave, directeur du GIP, reconnaît ces difficultés. Il y a pour lui « une vision projective et réactive. Il faut d’abord protéger en attendant la relocalisation car elle s’imposera nécessairement ».

À défaut de trancher, le groupe régional poursuit sa mission d’assistance : « nous aidons les territoires pour tous les dossiers, on les accompagne dans l’instruction des demandes de subventions par exemple. » Avec ses 50 millions d’euros d’enveloppe au niveau régional et son rôle d’accompagnant, le GIP reste pour Lacanau et les communes aquitaines un soutien pour garder la tête hors de l’eau.

Une solution moins ambitieuse

Lorsqu’on la voit avec ses boucles aux couleurs chatoyantes et son bracelet tressé au poignet, on se doute que la mer n’est plus bien loin. Éléonore Geneau est chargée du littoral auprès de la mairie de Lacanau, située à un quart d’heure de route de la plage. Elle dépose sur la table de son bureau un épais dossier. L’armoire dont il provient laisse apparaître une pile d’autres rapports : les scripts des différents scénarios susceptibles de se jouer dans la station balnéaire.

Parmi ces options, la construction d’une super-digue est la moins clivante. En effet, les partisans de la « protection jusqu’au bout » s’opposent à ceux qui soutiennent l’importance de commander des études dans l’éventualité d’un scénario relocalisation. Côté mairie, on prend régulièrement le pouls de la situation auprès des habitants et la chargée de mission l’admet, « des divergences existent, les positions sont tranchées mais il n’y a pas de ring de boxe sur l’océan. »


La « super-digue » renforcerait la protection actuelle pour s’étendre sur deux kilomètres et culminer jusqu’à 15 mètres. La mise en place de cet ouvrage de protection à entretenir jusqu’en 2100 viendrait bloquer les eaux. Son coût de construction estimé entre 20 et 30 millions d’euros est l’un des critères qui fédère les partisans du projet. Éléonore Geneau estime à titre personnel que la relocalisation coûterait certes cher mais que « le coût de la protection risque, lui, d’être exponentielle à terme ».
La mairie se dit à l’écoute des habitants pour décider avec eux de la marche à suivre. « Nous sommes préparés dans les deux cas. Même si aujourd’hui la protection reste la voie toute tracée au vue des mécanismes de financement », expose la chargée de mission.
Sur les plages, la mer occupe l’esprit de tous les commerçants. L’écume fraye son chemin dans le sable pour courir jusqu’à la digue de pierres. Véritable monstre, elle menace ici de faire reculer maisons et commerces, voire d’anéantir le paysage de carte postale.

Un arbitrage délicat

La cinquantaine, lunettes de soleil et café à la main, Sophie Séval, présidente de l’ADEC (Association pour le développement économique Canaulais), fait partie des contestataires. La propriétaire du magasin Couleur Salée situé en bord de mer égratigne les études de faisabilité réalisées au préalable : « C’est une blinde d’argent qui n’a servi à rien puisque l’État ne veut rien dépenser pour la relocalisation ou la digue. » Selon elle, si des bâtiments reculent déjà vers l’intérieur des terres, ce n’est pas le signe que la balance penche plus vers la stratégie du repli. Elle accuse même le maire d’entretenir une façade : « Il fait croire que c’est le début de la relocalisation, notamment avec le déménagement de la maison de la glisse qui appartient à la mairie. Sauf qu’elle devait être rénovée de toute façon, et sera simplement déplacée le temps des travaux.» Les dires et les rumeurs se multiplient autour de la question conflictuelle de la relocalisation. Côté mairie, on est conscient du mécontentement, et de nombreuses réunions publiques sont tenues dans le but de faire émerger un compromis.

Pour Éléonore Geneau, « la solution intermédiaire, on a du mal à la trouver. Le maire s’entretient régulièrement avec les représentants de l’ADEC mais surtout ceux de l’APPLO (l’association des propriétaire de Lacanau). On aimerait préparer la prochaine stratégie avec les habitants et les professionnels, on ouvrira avec eux des chantiers spécifiques. » Garder l’identité touristique de Lacanau tout en protégeant ses habitants est donc un véritable défi. À la municipalité on se projette et on compte sur l’arrivée de nouveaux leviers pour résoudre l’énigme : « les outils d’urbanisme classiques ne suffisent pas, on a besoin d’un changement de loi pour mettre en œuvre le projet de relocalisation. »

À défaut, la temporalité adoptée par la mairie fait office de sursis. La digue renforcée à la suite des intempéries de 2014 continue à être fortifiée. Le plan voté en 2016 qui permet son financement a été prolongé jusqu’en 2020. Le futur de la station balnéaire reste trouble en attendant que de nouveaux scénarios émergent.

Une loi vous manque et tout est dépeuplé

Si tous ces travaux préparatoires ont été réalisés, si Lacanau met en oeuvre des projection aussi poussées, c’est que le projet de relocalisation est réellement possible. Les barrières juridiques et budgétaires, insurmontables de prime abord, peuvent être dépassées. Mieux, elles ont failli l’être. À ce sujet, Éléonore Geneau, mentionne des lois dont la ville serait dépendante : « De notre côté, nous sommes prêts. Nous n’attendons plus que de disposer des outils légaux qui nous permettront de mettre en œuvre soit l’enrochement, soit la délocalisation. »

Ces outils légaux, Lacanau les a touchés du doigt il y a deux ans. Le 13 juillet 2016, l’ex députée PS Pascale Got dépose une proposition de loi à l’Assemblée Nationale. Elle a pour but de « faire entrer la problématique de l’érosion littorale dans le Code de l’environnement, duquel elle est aujourd’hui absente », et de « fournir des outils juridiques et budgétaires aux communes pour leur permettre de lutter contre ce phénomène au niveau local » précise Mme Got. Elle ajoute que sa proposition « visait à faire reconnaître le littoral Atlantique comme une zone à risque ». Ce qui aurait permis à Lacanau de surmonter les problématiques du financement et du refus des commerçants de quitter les lieux. Juridiquement, la ville aurait eu les outils pour exproprier « en douceur » les concernés, en louant directement les bâtiments à leurs anciens propriétaires ; tout en ayant la possibilité de cesser cette location lorsque le risque érosif serait devenu trop grand. Du côté financier, Lacanau aurait pu puiser dans les Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM, ou « fonds Barnier ») pour supporter le coût de la relocalisation. Actuellement, ils sont réservés aux risques immédiats ou imminents. La proposition de loi de Pascale Got aurait inclus l’érosion littorale dans leur champ d’application.

Cette loi n’a cependant jamais pu voir le jour. Le processus parlementaire a été particulièrement long. L’Assemblée nationale (majoritairement à gauche) refusait de valider un amendement que le Sénat (majoritairement à droite) voulait intégrer à la proposition de Pascale Got. « Ils ont essayé de faire passer une mesure économique qui n’avait rien à voir avec ma loi et que notre majorité ne pouvait pas accepter ; cela a miné les échanges ». Après plusieurs allers-retours entre les deux chambres, la loi finira par être abandonnée à la fin du calendrier parlementaire, le 26 février 2017.

Pascale Got n’est pas réélue lors des législatives 2017. Elle est battue par son concurrent En Marche, et le dossier de la loi concernant la protection du littoral a été repris par Sophie Panonacle, elle aussi dans les rangs de la majorité présidentielle. Depuis, le projet n’avance guère. Renaud Lagrave s’inquiète à ce sujet : « on nous demande aujourd’hui d’avoir une vision globale de la situation, après nous avoir appelé à élaborer des stratégies locales… C’est inquiétant, il ne faut plus ni rapport ni commission : il faut sortir le projet de loi ». Sophie Panonacle se veut rassurante à ce sujet : « On sait que l’attente d’un texte est très forte, mais nous attendons le rapport d’une mission d’inspection. J’entamerai ensuite la réécriture des textes avant de les présenter aux élus et aux associations. Ce n’est pas simple, mais ça avance. Je ne lâcherai rien, il y aura une loi. » À Lacanau, on croise les doigts pour qu’elle dise vrai.

Marti Blancho, Antoine Maffray et Lauriane Vofo Kana