Où sont les femmes ? On ne vous parle pas du tube de Patrick Juvet, blond platine et déluré à la fin des années 70, mais d’une instance politique majeure en 2019 : l’intercommunalité. Dernier bastion de l’ancien monde où les hommes sont toujours au premier plan, ces supra-structures dénotent. Trop peu de femmes font partie des conseils communautaires. Dans chaque structure, elles sont minoritaires. A croire que dès qu’il y a du pouvoir en jeu, les hommes le gardent entre eux.



Les intercommunalités sont devenues des lieux de pouvoir. Bien plus que les municipalités. Des compétences et des dotations transférées, des élus plus mobilisés par les enjeux intercommunaux : les conseils municipaux ont perdu de leur influence sur la vie politique locale au profit de l’interco.

Le problème, c’est que la parité dans les conseils communautaires n’est pas obligatoire. Comme dans les conseils municipaux des villes de moins de 1000 habitants. Dès qu’il n’y a pas d’obligation, les vieux réflexes réapparaissent très vite….

Bien installées, les habitudes, ainsi que les réalités du terrain, prennent le pas sur les volontés affichées de parité en politique.



Magali Migaud est adjointe de la commune de Périgné et vice-présidente de la communauté de communes de Mellois-en-Poitou. Elle a pu le constater dans son intercommunalité, où les petits villages sont légion. “Dans les zones très rurales comme la mienne, il n’y a qu’un délégué par commune, pour qu’elles soient toutes représentées. C’est ce qui fait que le nombre de femmes est si bas. Dans mon interco, il y a 107 délégués, dont seulement une trentaine de femmes…” Il faut dire que le système favorise la présence des hommes. Les petites communes sont souvent représentées par un seul délégué… La plupart du temps, le maire. Ô surprise : dans 82,2 % des cas en Nouvelle-Aquitaine, c’est un homme.



En rebattant les cartes au niveau des territoires, la loi NOTRe qui a pris effet début 2017 a assuré un équilibre territorial. Grande perdante de l’opération, la représentativité hommes-femmes. Mais les choses tendent à évoluer, lentement. Des femmes s’installent dans la vie politique locale, et espèrent donner envie à d’autres de s’investir.

Communauté de communes : au dessus de 15 000 habitants

Communauté d’agglomération : au dessus de 50 000 habitants

Communauté urbaine : au dessus de 250 000 habitants

Métropole : au dessus de 650 000 habitants

“Si les jeunes filles me voient, lors de cérémonies officielles, avec l’écharpe d’élue et que cela leur donne un début de vocation, c’est déjà ça de gagné…”

Cécile Gallien, Vice-présidente de l’AMF

Si elles sont moins nombreuses à des postes importants dans leurs villes, c’est aussi à cause d’un manque de temps criant. Difficile pour elles de s’investir, quand les schémas traditionnels les poussent à assumer les responsabilités familiales, comme le souligne Magali Migaud. “En général, la charge des enfants et de la maison n’est pas très équilibrée. Notre engagement politique en tant qu’élue est donc encore plus difficile.” Elle, a trois enfants. Elle a attendu que son cadet ait 9 ans pour se lancer dans la vie communale, en 2008. Quand ils ont grandi, le temps libre s’est accru, la disponibilité de la Poitevine aussi. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à s’investir au sein de l’intercommunalité. Elle n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas parmi ses collègues. “Sur les 4 vice-présidentes, on est deux à avoir arrêté de travailler pour élever nos enfants. Nous ne sommes pas très nombreuses et on a toutes des enfants qui sont grands.” Une tendance confirmée par la politiste Sandrine Lévêque, spécialiste des questions de parité en politique. “On voit que les femmes qui se lancent en politique, c’est soit avant d’avoir des enfants, soit après les avoir élevés.”

“Au moment de prendre le pouvoir, les hommes sont plus attirés. On a tellement conditionné les femmes dans leur enfance qu’elles manquent d’ambition et de confiance en elles.”

Danièle Bouchoule, co-présidente de l’association Elles Aussi. 

Des femmes parviennent toutefois à se hisser dans les exécutifs des conseils communautaires. Elles représentent 20 % du total des vice-présidences. Une sous-représentation qui s’explique. Les postes dits importants sont les chasses gardées des hommes politiques déjà en place, qui tiennent à conserver le pouvoir qui leur est conféré et la rémunération conséquente qui vient avec.



Alors forcément, lorsqu’elles se voient confier des postes à responsabilité, ceux-ci renvoient à des attributions illustrant la conception archaïque qui leur est attachée. Mères de famille qui s’éloignent sans vergogne de leurs ustensiles de cuisine, elles sont censées être plus sensibles aux thématiques de la petite enfance, du social en général. Les hommes quant à eux s’octroient les compétences régaliennes, prestigieuses : administration générale, finance…



Magali Migaud est l’exception qui confirme la règle. Deuxième vice-présidente de sa communauté de communes du Mellois-en-Poitou, elle est chargée de compétences clés : l’aménagement de l’espace, l’urbanisme et l’aménagement numérique. Un exemple qui vient contredire la rengaine stéréotypée trop souvent entendue dans les microcosmes politiques.

“Quand je parle au milieu de tous ces hommes, certains se demandent : “Est-ce qu’elle s’y connaît vraiment ? Est-ce que vous pensez qu’elle peut être compétente pour des choses réservées aux hommes ?”

Christine Fournadet, présidente de la communauté de communes Coteaux des Vallées de Luys.

Les choses peinent à réellement évoluer. Mais elles peuvent changer. Un coup de pouce législatif, des alternatives politiques ou encore un passage en force dans certains cas. Comme l’a fait Magali Migaud, avec la collaboration du maire de sa commune, Périgné. Lorsque la communauté de communes fusionne, un seul délégué est appelé siéger au conseil communautaire. Très peu pour le maire, qui préfère partager le gâteau et laisser sa place autour de la table des négociations à sa première adjointe. “Si on respectait la loi, je ne devrais pas être à la ‘com com’. C’est un arrangement entre nous”. Contourner la loi pour parvenir à la parité, seule solution ?

En l’attendant, le meilleur moyen de féminiser les intercommunalités, ce serait permettre qu’un grand nombre de femmes partent à l’assaut des hôtels de ville. Magali Migaud ne mènera pas cette bataille. “Je vais m’arrêter. C’est difficile de tout gérer, même si j’apprécie énormément ce que je fais. Et puis, j’aurai fait 12 ans de mandat, il faut du renouvellement”. Idée du non-cumul des mandats dans le temps qui ne trouve que peu d’équivalents chez les hommes… Plus jeunes en moyenne lorsqu’elles sont élues, elles constituent des cibles de luxe au moment de “boucler” les listes.

“Les femmes ont été appelées pour renouveler le champ politique. Il y a une forme de stratégie, en direction d’une forme de clientèle. Souvent, les faiseurs de listes sont allés chercher des femmes pas expérimentées en politique, choisies car ce sont des femmes de notables sur lesquelles on peut avoir une forme de leadership.”

Sandrine Lévêque,spécialiste des questions de parité en politique.


Je m’inquiète un peu pour 2020, il va falloir trouver des femmes, alors que rien n’oblige à favoriser leur candidature”. Magali Migaud dresse un constat sans appel. On estime à plus de 50 % le nombre de maires qui ne se représenteraient pas aux prochaines élections. Une occasion unique pour féminiser les assemblées locales ? Certainement. Mais, le législateur et le gouvernement semblent avoir hypothéqué les chances de changement en tergiversant sur l’adoption d’une loi qui mettrait fin à ce déséquilibre. Pourtant, la grande mécanique institutionnelle a tardé à s’enclencher. Des élues et des militantes ont été longuement entendues sous les ors du Parlement. Elles ont proposé des solutions concrètes. Pour l’instant sans résultat probant.



A ce jour, difficile de savoir si la loi sera votée. “On nous convoque, mais on ne sait même pas si le texte sera applicable avant les prochaines élections, en 2020”, déplore Julia Mouzon, de l’association Elues locales. Pour l’être, la proposition faite par Marie-Pierre Rixain doit être votée par le Sénat et l’Assemblée Nationale, subir un éventuel contrôle de la part du Conseil constitutionnel, avant d’être complétée par des décrets d’application. D’ordinaire, en matière électorale, les textes sont votés un an avant les élections. Pour des municipales prévues en mars 2020, le timing semble trop serré.

Danielle Bouchoule ne perd pas espoir pour autant : “S’ils se dépêchent, il est possible de faire quelque chose pour 2020. Et puis, on pourrait décaler les élections municipales en mai”. Le gouvernement ne semble pas du tout enclin à décaler les dates de scrutin. Les grandes manoeuvres politiciennes semblent avoir commencé un peu partout. Et tant pis (ou tant mieux pour certains…) si cela repousse la féminisation des intercommunalités en 2026….

D’ici là, Magali Migaud ne sera plus élue. Mais elle n’est pas fataliste. Il faut favoriser l’accès des femmes aux fonctions politiques. Les enjeux n’en sont que trop importants.

François Beneytou, Clément Bouynet, Dorine Condé, Romain Dybiec, Nicolas Fleury et Thibaut Ghironi

Données constituées à partir du Répertoire national des élus et des informations transmises par les intercommunalités.