Le 15 avril, les radios associatives auront toutes envoyé leur dossier pour obtenir des subventions publiques. Comme tous les ans, il y aura des retards, des oublis, et des déçus. Pourtant, cette aide est devenue essentielle pour les radios libres. Accusant le coup des réformes sur le secteur associatif, elles doivent aujourd’hui faire face à de nombreux défis.
La France a de quoi être fière de son offre radiophonique. Avec plus de 8000 fréquences FM partagées entre radios privées et publiques, elle est l’un des pays les mieux dotés au monde en termes de radios. Depuis la libéralisation des ondes en 1981, de nombreuses radios se sont mises en place partout sur le territoire. Parmi elles, des radios associatives s’emparent de problématiques locales et répondent aux préoccupations quotidiennes de leurs auditeurs.
Plus d’un million par jour. C’est le nombre de personnes qui écoutent une radio associative en France, en 2018, d’après une étude réalisée par La Lettre.Pro. Loin d’être anodin, ce chiffre témoigne de l’importance de ces radios dans le paysage médiatique. A titre d’exemple, le seul département de la Gironde compte onze radios de ce type, toutes avec des identités et des contenus différents.
« Les radios associatives représentent les seuls médias de l’économie sociale », se félicite Emmanuel Boutterin, président du Syndicat National des Radios Libres. Encouragés par les pouvoirs publics à faire de la « communication sociale de proximité », ces acteurs médiatiques phares font pourtant face à de nombreuses difficultés.
“On ne travaille même plus par plaisir”
Grégoire Souchay
En août 2017, le gouvernement annonce une réduction drastique des contrats aidés dans le secteur associatif : 150 000 emplois aidés ne sont pas renouvelés dès 2017, et 110 000 sont supprimés en 2018. Cet amendement touche de plein fouet une majorité de radios associatives qui basent leur fonctionnement sur ce dispositif. Avant la réforme, au niveau national, elles employaient 1 100 personnes en contrats aidés, soit un quart des salariés du secteur, selon le Syndicat national des radios libres (SNRL).
Vincent Amiot est l’une des victimes de cette réforme. Âgé de 60 ans, ce passionné de radio travaille actuellement chez Aqui FM, une station de radio en Nouvelle Aquitaine. Mais son contrat aidé se termine fin octobre 2019 et ne sera pas renouvelé. « Je ne sais pas ce qui se passera après. Une année de reconduction est possible, mais rien de certain ni de probable, et je ne compte pas sur cette possibilité ». Déboussolé mais lucide, il sait qu’il va devoir chercher un autre travail dès la rentrée de septembre.
Même scénario chez O2 Radio, la radio des Hauts de Garonne, qui n’a pas eu d’autres choix que de remercier un de ses employés. « Financièrement ça n’allait plus, on a été obligés de licencier en juillet dernier. On a trop de frais et sur la trésorerie, la part salariale est devenue très importante », avoue Joël Guttmann, qui lui a eu la chance de voir son contrat aidé pérénnisé.
En janvier 2018, suite au rapport de Jean-Marc Borello, les PEC – parcours emploi compétences – remplacent les contrats aidés. Mais les radios associatives ne sont pas satisfaites de ce nouveau dispositif. Pour elles ces PEC sont moins pris en charge par l’Etat que les anciens contrats aidés et les subventions varient selon les régions.
D’autres solutions pour pérenniser les salariés qui disparaissent peu à peu des radios associatives ? « Il n’y en a pas » selon Eliane Blin, co-présidente de la Confédération Nationale des Radios Associatives.
Si aucune issue ne semble possible, l’avenir des radios associatives pourrait bien être compromis. « La réduction de ces emplois aidés n’a fait qu’accentuer la crise qui touche les radios associatives. On se demande tous les jours où trouver de l’argent. Dans certaines radios, on ne travaille même plus par plaisir » explique Grégoire Souchay. Le jeune homme a été journaliste à Radio Saint-Affrique – une radio associative de l’Aveyron-, qui employait alors 5 salariés. Aujourd’hui, la radio n’en compte plus que deux à temps partiel.
La fin des contrats aidés a bouleversé le fonctionnement des radios associatives. Plus grave encore, elle a révélé une forte dépendance aux subventions de l’Etat.
Les subventions, cette drogue douce
Enfants des radios pirates, les radios associatives ont obtenu un statut légal en 1982. Une avancée qui leur ouvre la voie aux subventions étatiques. Dès leur naissance, un Fonds de Soutien à l’Expression radiophonique (FSER) est mis en place pour leur attribuer des fonds. Aujourd’hui encore, cette ressource financière est essentielle pour elles, pour le meilleur comme pour le pire.
Tous les ans c’est la même musique. Les radios associatives doivent remplir et envoyer leur dossier FSER au Ministère de la Culture, avant la date butoir. « Les oublis et retards arrivent fréquemment », explique Emmanuel Boutterin, président du Syndicat National des Radios Libres (SNRL). En majorité composées de bénévoles, ces radios « n’ont pas toutes la capacité de mener aisément cette tâche administrative », explique Grégoire Souchay, ancien de Radio Saint-Affrique.
Et pourtant, les candidatures au FSER augmentent chaque année. L’enveloppe de ce fonds, elle, se stabilise à 30,7 millions d’euros depuis 2017. « C’est un gâteau fermé, on finit avec moins de subventions par radio », affirme Grégoire Souchay. En réalité, de profondes disparités existent entre les radios associatives françaises. Et elles n’ont fait que se creuser depuis l’arrivée d’une nouvelle subvention en 2006.
Des critères, des points, et de l’argent à la clé. Une nouvelle subvention dite « sélective » est introduite au FSER, et comme son nom l’indique, elle arbore une part de subjectivité. L’idée du gouvernement serait de « soutenir les services de radio qui ont réalisé des actions particulières dans un certain nombre de domaines ». Pour Emmanuel Boutterin, « ça va dans le bon sens, celui du peuple ». « On veut des radios qui luttent, pas simplement des robinets à musique » poursuit-il.
Avec la subvention sélective, les radios sont encouragées à mener encore plus d’actions en partenariat avec des acteurs locaux. « En ville, et si on a beaucoup de salariés, ça peut se faire. Mais en zone rurale c’est déjà beaucoup plus limité », rapporte Pierre Isnard-Dupuy. En plus de ces inégalités territoriales, la logique des appels à projets est loin de faire l’unanimité. « Une fois, on a couvert un forum de l’emploi avec des élus locaux. On leur a laissé dire ce qu’ils voulaient, sans véritable contrepoids », se désole Pierre, qui a quitté sa radio associative.
Sur un même territoire comme la Gironde, le montant de subvention sélective reçue peut fortement varier. Derrière ces disparités se cachent des modèles de radios très différents. Un chiffre parlant : le nombre de salariés dans ces radios. A Bordeaux, la Clé des Ondes ne compte qu’un salarié, Xavier Ridon. « On veut être le moins dépendant possible des subventions par ce choix », explique-t-il. Mais d’autres radios misent sur une professionnalisation plus poussée.
« Faire la chasse aux subventions et aux partenariats, ça demande du temps et de l’investissement », commente Grégoire Souchay. En 2017, il quitte Radio Saint-Affrique et raconte dans un podcast diffusé sur Arte Radio qu’il était devenu « un petit producteur de points FSER ». Et vu le nombre de radios qui touchent cette subvention sélective, il est loin d’être le seul. C’est à se demander si l’on ne court pas vers une « perte de sens » de l’activité associative, conclut Grégoire Souchay.
Au bon vouloir des conseils régionaux
A chaque région, sa fédération. Le maillage territorial des radios associatives est impressionnant. En témoignent les fédérations régionales de radios associatives, qui regroupent des médias aussi nombreux que variés. Leur action principale : défendre et accompagner ces radios face aux difficultés qu’elles rencontrent. Et toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne.
Des régions qui aident plus ou moins. En Nouvelle-Aquitaine, le Conseil Régional ne verse aucune aide spécifique aux radios associatives. « Pourtant la région est prête à donner plus d’un million d’euros par an pour la seule TV7 [liée au groupe Sud Ouest]. C’est un choix politique du président du conseil régional que nous dénonçons », témoigne Xavier Ridon, de la Clé des Ondes. Une réalité qui ne passe pas : . « Qui offre 8 heures chaque semaine aux communautés portugaises, une communauté de plus de 15000 personnes en Gironde ?» argue l’unique salarié de cette radio bordelaise.
Contacté, le Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine n’a pas voulu répondre à nos questions concernant l’absence de fonds spécifique destiné aux radios libres. Dans la base de données des « Délibérations du Conseil Régional de la Nouvelle-Aquitaine », deux subventions de 21 000 et 9 600 euros ont été accordées en 2017 à la CRANA (Confédération des Radios associatives de Nouvelle Aquitaine). Elles ont été annulées en 2018 et 2019 au motif que la structure n’avait pas rempli les critères nécessaires. « Il n’y pas de politique spécifique de la Région à destination des radios libres et certains ne veulent pas trop en parler, confirme M. Lespiaux, membre de la CRANA. La plupart des aides débloquées se font par le régime normal du mouvement associatif .”
Au contraire de la Nouvelle-Aquitaine, certaines régions se sont dotées de dispositifs spécifiques de soutien aux radios associatives : ainsi, la Bretagne a mis en place deux mécanismes non cumulables. L’un a pour objectif la promotion de la culture bretonne en subventionnant les radios émettant en langue bretonne, ou bilingue, tandis que l’autre est ouvert à toutes les radios associatives bénéficiant du FSER. Dans ce cadre, les projets des radios sont évalués sur une variété de critères, tels que la richesse et la qualité de la programmation, la mise en place d’actions sociales et culturelles, l’ancrage territorial, etc. Cette aide, plafonnée à 12 000 euros, témoigne d’une véritable volonté du conseil régionale de la Bretagne de protéger le patrimoine radiophonique local. Une volonté qui semble faire défaut à d’autres régions.
Nouveaux financements, nouveaux problèmes
Pour boucher le trou qui se creuse dans leur budget, les radios associatives tentent de trouver d’autres sources de financement. Mais les subventions des collectivités locales sont, elles aussi, en baisse. « Certaines municipalités nous donnent 150€ avec un grand sourire en disant “regardez on vous aide” !», s’amuse Pascal Corpart coordinateur de RIG et Aqui FM.
Alors, les radios locales sont tenues d’improviser. Certaines se tournent vers les appels à projets, une pratique qui s’éloigne légèrement de l’objectif des radios et qui n’est pas pérenne mais permet de récupérer des financements.
La publicité est aussi une option explorée par certaines radios, bien que beaucoup y restent réticentes : « Toutes les radios associatives se posent la question de la publicité à un moment, mais on a voulu préserver l’esprit de la radio » confie Nicolas Loubert, responsable d’antenne chez Radio Campus. La Clé des Ondes, elle, aussi tient particulièrement à son indépendance et a donc instauré l’absence de publicité comme principe premier.
Dans les faits, même les radios qui font de la publicité peinent à atteindre la limite des 20% des recettes à ne pas dépasser pour bénéficier du FSER. Car trouver des annonceurs demande du temps et surtout d’entrer en concurrence avec les radios commerciales. Celles-ci ont souvent un employé dédié à cette tâche et peuvent mettre leurs chiffres d’audiences sous le nez des entreprises. Quand on sait qu’une étude d’audience Médiamétrie coûte plusieurs milliers d’euros pour les radios associatives, rares sont celles qui en commandent.
Alors, certaines radios comptent sur leurs auditeurs, tant pour des dons que pour les cotisations des adhérents. “Radio Zinzine s’est appuyée sur un collectif d’auditeurs pour avoir de nouvelles fréquences. On a déjà vu des auditeurs contribuer à payer le matériel de diffusion.” rapporte Pierre Isnard-Dupuy. D’autres lancent des cagnottes en ligne pour financer l’achat de matériel ou la réalisation de projets spécifiques.
La transition numérique, casse-tête économique
En plus de leurs difficultés financières, les radios associatives locales doivent faire face à l’accélération du déploiement de la Radio Numérique Terrestre. Une transition technologique coûteuse mais obligatoire, au risque de rester sur le carreau.
La radio numérique est présentée par le CSA comme une évolution inéluctable, dotée de véritables avantages par rapport à la FM : un son de meilleure qualité, des contenus associés et une sécurité renforcée. La RNT devrait également à terme proposer un plus grand nombre de fréquences, et permettre ainsi à de nouvelles stations de diffuser.
Mais pour Nicolas Loubert, responsable d’antenne à Radio Campus Bordeaux, la transition numérique pose pour l’instant plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Les radios en autodiffusion (disposant de leur propre antenne FM) comme Radio Campus n’ont presque pas de coûts de diffusion. Cette situation ne durerait pas en cas de passage au numérique : les frais de maintenance et de diffusion pourraient atteindre 4000 à 5000 euros par an.
Eliane Blin, présidente de la Confédération Nationale des Radios Associatives (CNRA) estime que la transition numérique n’est pas qu’une question de coûts : « La question de la place se pose aussi : il n’y aura pas de places dans les multiplex pour toutes les radios associatives. »
Pour pallier ces problèmes, les fédérations se mobilisent ; le Syndicat National des Radios Libres (SNRL), par l’intermédiaire de son président Emmanuel Boutterin demande une prise en compte de la double diffusion FM et numérique par une adaptation du FSER. Le syndicat chiffre cette nécessaire enveloppe supplémentaire à un montant compris entre 10 et 20 000 euros par an et par radio. « Les radios qui font l’effort du passage au DAB+ doivent, bien entendu, avoir un coup de booster en terme de subventions publiques ».
L’avenir semble donc incertain pour les radios associatives. Confrontées à une réduction drastique de leurs financements et au défi de la transition numérique, elles n’ont pas vraiment le choix : il faut s’adapter ou disparaître. Mais derrière ces médias, ce sont des milliers de bénévoles qui donnent de leur temps chaque jour. Face à tous ces défis, pas sûr que leur motivation reste intacte.
Rédacteurs/trices : Jean-Baptiste Arcuset, Maëlle Benisty, Laura Diab, Philippine Kauffmann, Alexandra Lassiaille, Guillaume Ptak